« Les Premières Réflexions est un projet de création de pédales de réverbération dans lesquelles sont conservées les résonances de lieux qui vont disparaître. » Cette phrase d'introduction de la fiche de présentation de l’œuvre porte en elle un sujet emblématique de la ville : sa production sonore toute source confondue. L'écologie acoustique qui consiste à étudier les paysages sonores en milieu naturel, a démontré en comparant les différentes longueurs d'ondes des sons produits au beau milieu d'une forêt par exemple, que celle-ci se superposent sans se parasiter. Les différentes espèces de la faune ont la faculté de communiquer entre elles sans que d'autres sources sonores ne polluent leurs échanges, même celles de la flore.
Les êtres de la forêt s'organisent naturellement en ce qui concerne leur production sonore. En milieu urbain, c'est exactement le contraire qui se produit. Les bruits de la circulation automobile, des sirènes, des ventilations, des hauts-parleurs, des engins, des chantiers, de la foule, des conversations s'amalgament en permanence, dans un brouhaha caractéristique d'ailleurs pour certaines mégapoles.
C'est dans l'enceinte des édifices que l'on se réfugie pour s'accorder un peu de répit et converser avec les autres, pour peu que ceux-ci soient pourvus d'une bonne isolation phonique.
Mais que reste t-il de l'acoustique d'un espace urbain qui est modifié, d'une rue dont le tracé est transformé, d'un ensemble de tours détruites, d'une friche réhabilitée ? Thibault Jehanne a exploré la mémoire sonore de bâtiments dévolus à la destruction, notamment dans un gymnase, dans la chambre d'une maison pavillonnaire, sous le préau d'une école, tous situés à Hérouville Saint-Clair, destinés à disparaître pour des raisons de sécurité incendie, de vétusté, de risque d'effondrement. Ici c'est le compositeur sonore qui vient argumenter les captations de l'acoustique singulière des lieux avec des témoignages d'habitants ou d'usagers des bâtiments disparus. Il retourne alors la situation, donnant à entendre des instantanés d'espaces, ce qui bruissait et résonnait entre quatre murs, dans l'intimité en quelque sorte du bâtiment. Il nous donne à entendre ce que l'on écoute peu, ou tout simplement ce qui est recouvert par la cacophonie de la ville.
Texte issu de l'exposition Regards d'Artistes sur l'Urbanisme, Pascal Marquilly, 2022